Sixième sens ?...

Le petit rituel me manquait... Sortir de chez moi encore endormi pour me diriger vers le petit café qui fait l'angle de ma rue. Y faire une pause avant de prendre la voiture.
C'est ce trop court trajet matinal qui parvient à m'éveiller après les courtes nuits que je passe ces derniers temps.
En fait, ce sont les sensations qui me permettent d'émerger doucement. Il n'y a rien de plus agréable que de se laisser guider par ses sens au réveil.

Le goût mentholé du dentifrice subsistant, je sors de chez moi pour emprunter l'ascenseur dont je saisi la poignée lustrée, je sens l'odeur du vieux bois de la cabine que j'entends craquer doucement alors que je regarde les étages défiler au travers des portes en fer forgé...
Le goût, le touché, l'odorat, l'ouïe, la vue... déjà, tout y est !

Le hall de l'immeuble. Dans le parfum citronné de ses produits d'entretien, la concierge s'affère près des lourdes portes vitrées que je pousse pour faire mon entrée dans la petite aventure de la rue.

Une rue de Paris, un doux brouhaha continue, les enfants qui s'esclaffent parfois, masquant le piaillement des moineaux.
Là, une mercerie et sa devanture emplie d'étoffes et de babioles de couleurs toujours changeantes.
Ici, le fleuriste et ma main qui passe dans les arbustes exposés sur le trottoir.
Quelques pas et je passe devant la blanchisserie. Cette odeur d'adoucissant qui emplie la rue, les grandes piles de draps blancs rangées sur les énormes machines à laver qui ronronnent doucement.
J'ouvre mon paquet de cigarettes et en porte une à mes lèvres. Ne pas l'allumer maintenant, ce serait une erreur. La garder à la bouche pour profiter de l'odeur du tabac sec.
Au loin, le bip-bip d'un camion de livraison qui entame une délicate manoeuvre en marche arrière.
Tout près, des bribes de conversations des gens qui s'attardent pour s'entretenir du journal télévisé de la veille ou des dernières tribulations de la voisine.

Et mes pas m'ont déjà amené jusqu'au petit troquet.
Le "Bonjour" rituel, trouver un coin de zinc où poser les coudes. Les discussions de comptoir. Le goût du café brûlant. L'odeur de la fumée de cigarette. Allumer la mienne, puis prendre une gorgée d'eau fraîche. Puis revenir au café.
Tromper ses sens, les multiplier, les noyers les uns dans les autres... Tous ces goûts, ces bruits, ces sensations, ces parfums, cette journée qui s'anime devant mes yeux...

Mais ce matin avait quelque chose de particulier.
Il y avait tout ça et quelque chose d'autre.
Quelque chose en plus.
Un autre sens à chatouiller. A satisfaire.
Et ça m'est tombé dessus avant même que je passe la porte de mon appartement.

Mais comment résister ? Ne pas chavirer ?
Elle était là... cette nuit, ce matin... Elle...
Comment ne pas craquer en la voyant là, dès le réveil, de minces rayons de soleil venant caresser sa peau ?...
Sa peau... sa douceur, sa délicate chaleur, son parfum... son goût...
Alors j'avoue... avant de partir, j'y ai déposé un baiser, juste là, au creux du cou...
Comme pour combler un sixième sens...
...

Bientôt, il me faudra vous dire qui elle est...
...Mais je ne sais pas vraiment comment vous dire...

Et si je commençai par le début ?... Oui, bonne idée ! Le tout début.

Son prénom ?... mmm... non... pas encore... pas même une initiale...
Le tout début... commencer par le tout début...

Voilà :
Elle est née un 17 avril...