J'aurai attendu un certain temps pour ça...
En fait, j'avais simplement arrêté d'attendre, bien longtemps avant que cela n'arrive... comme c'est finalement le cas pour beaucoup de choses dans la vie...

Au détour d'un échange qui devait être aussi anodin que tous les autres depuis 30 ans ("Ca va ? Oui... Bien... Bon bah bonne journée..."), on en vient étonnement à se retrouver autour d'une table.
Il faut bien déjeuner...
Prétexte ?...

Nous voilà donc, tous les deux, en tête à tête... un père et son fils...
Deux inconnus en fait...
Et ce silence tellement coutumier qu'il ne me pèse même plus.

Et puis une question... anodine... pour meubler. "Et ton travail ?..."
Je réponds, laconique.
Il écoute.

Il écoute !?!

Je poursuis...
Il écoute encore !

Puis il s'intéresse, interroge, écoute encore, étonnement attentif...
C'est à ce moment là que j'ai réalisé que j'étais en train de vivre un moment crucial de mon existence.
Un de ces petits instants inespérés dont on se souvient pour toujours... car il change tout... il vous change vous... profondément.

On en vient, petit à petit, à parler de sa vie, de la mienne, de la vie en général.
Exceptionnelles minutes...
Je parle à mon père... On se parle... Je n'avais même jamais osé espérer ce moment là...

Et puis ses réponses, ce ton qu'il a, ces rapprochements qu'il fait avec son histoire à lui, ces conseils qu'il donne...
Il est, à mes yeux, et pour la première fois de ma vie, simplement... paternel...

Je ne sais dire ou décrire quel palpitant chambardement j'ai vécu...

Simplement que nos rapports, depuis toujours si... coriaces, ont soudainement et radicalement changé lorsqu'il m'a confié, simplement, qu'un des seuls espoirs d'avenir qu'il tenait encore pour lui-même, c'était, un jour, peut-être, que je dépose... doucement... au creux de ses bras... un petit fils.

Il a vu dans mes yeux, à ce moment là, que c'est le même unique rêve d'avenir qui a su survire à ma vie d'égarements, profondément ancré à ce qu'il me reste d'essentiel.

Comme jamais, on s'est juste souri... et j'ai pris conscience un peu tard de cette larme aussi surprenante que délicieusement impudique...

Il a regardé ailleurs et j'ai souri encore.